Quelle était votre vie avant le premier implant ? 

C'est au retour d'une tournée avec mes six musiciens que j'ai appris que mon audition posait problème après de très sérieux épisodes de vertiges. Je chantais mais j'étais aussi institutrice, rédactrice de mémoires pour étudiants fatigués, brodeuse d'art, animatrice d'atelier-couture, attachée de presse et animatrice de radio libre etc. J'avais 31 ans.

J'ai eu mes premiers ACA à 35 ans avec une coupe de cheveux très très courte couleur aubergine.

À 56 ans et -110db de pertes, toujours institutrice, j'avais épuisé tous les modèles d'appareillage. Les ACA ne pouvaient plus rien pour moi et je ne m'en étais même pas rendue compte.

Et mon cheminement vers l'implant a commencé. J'ai rencontré des implantés heureux et pour la première fois de ma vie, j'ai ressenti une jalousie féroce. 

Et après l'implantation ?

Mes précieux COCHLEAR sont arrivés à gauche en 2008 et à droite en 2013. Entre les deux, ma vie a changé. J'ai divorcé et affronté le harcèlement de collègues qui n'avaient pas « la chance d'être handicapées »: l'administion m'avait accordé 25 élèves au lieu des 30 réglementaires.

Dès l'activation j'ai entendu et compris. En quelques secondes, je suis passée du grand silence à un ronflement énorme, aussitôt remplacé par des tintements de cloches vite affinés en articulations vocales bientôt identifiables et compréhensibles. Ma régleuse me parlait, je l'entendais...et je la comprenais. Je n'ai pas pleuré d'émotion. C'était magique et évident.

Le deuxième implant a signé un confort maximal.

Comment vivez-vous votre handicap ?

Je n'ai jamais caché mes difficultés aux parents d'élèves. Bien au contraire. Je me présentais en disant : vous avez de la chance, je suis sans doute la seule institutrice sourde du département, voire de France et de Navarre, j'ai des yeux tout autour de la tête et une empathie monstre. Pratique quand on doit communiquer avec des p'tits loups de deux ans qui entrent tout juste dans le langage et qui s'expriment surtout par le corps.

Côté collègues, ça a été rude. Je vois, je sens, je repère des choses que les normo-ordinaires ne voient pas, ne sentent pas, ne repèrent pas. Ca, on ne vous le pardonne pas.

Le handicap fait peur, par ignorance. Les enfants n'ont aucune prévention. Ils sont dans l'entraide et le partage. Pas les adultes.

Ma retraite est active. J'anime des ateliers de couture et d'arts graphiques. Je cultive toujours le positif. Il y a 2 ans, une voiture m'a renversée. Des électrodes ont été désactivées. Pas de réimplantation mais des séances d'orthophonie et une belle rencontre avec une géniale spécialiste.

Quel message souhaitez-vous faire passer ?

Le handicap à l'école est mal pensé et on ne parviendra jamais à une véritable intégration tant que les personnels devront en être exempts. L'école devrait être le reflet de la société. Pourquoi ces lieux d'apprentissage où l'on cultive le vivre ensemble et le respect de soi et d'autrui s'ingénient-ils à gommer les particularités ? Pourquoi vouloir à tous prix uniformiser... Toute différence est un enrichissement.

Pour finir, je voudrais tordre le cou à un vieil adage : non, le sourd ne s'isole pas, on l'isole... Pas la peine de lui parler puisqu'il n'entend pas. Voilà, c'est dit.

Je ne voudrais pas d'une autre vie.

 

 

Version initiale du témoignage d'Annick suite à l'implantation de sa 1ere oreille

Je suis « maîcresse d’école » et sourde profonde. J’anime une classe de petits, et auparavant de tout-petits depuis de nombreuses années.

Cette année, je n’ai pas pu faire la rentrée : je n’entends plus suffisamment, même avec mes prothèses numériques. J’avais bien remarqué que l’année dernière les parents de mes élèves, dûment informés, alliaient souvent le geste à la parole lorsque nous discutions : en juin, la perte était de 100db, et en septembre de 110.

J’ai été implantée le 30 octobre dernier, et l’implant sera activé la semaine prochaine (le 18 novembre). Je ne sais pas ce que je vais entendre, personne ne peut se risquer à le prédire. Peut-être que la rééducation sera rapide, peut-être pas. Je ne sais pas quand, ni même si, je retournerai en classe. Mais j’ai de la chance : je vis dans un pays et à une époque où moi, sourde profonde, j’ai accès à ce petit miracle.

Ma surdité a été décelée vers la trentaine. Le verdict est tombé sans espoir de guérison : à 50% de perte bilatérale, une otospongiose ne s’opère plus !

Après 3 ans de parenthèse administrative qui n’ont pas permis de me reclassée, j’ai repris du service dans les classes, et retrouvé confiance en moi, sans doute parce que j’ai  su conjuguer expériences personnelles diverses, dispositions pédagogiques réelles, et surtout une capacité d’empathie hypertrophiée développée, j’en suis persuadée, par l’instinct naturel de survie de l’humain en milieu hostile.

Quand on est handicapé, on est contraint de développer des stratégies de compensation. Celles-ci se mettent en place inconsciemment afin de maintenir les performances initiales, en l’occurrence, les capacités à échanger, à s’intégrer, à communiquer.

La surdité est un handicap sévère qui détruit le lien social mais j’ai pourtant su en faire un atout qui m’a permis de gérer ma classe au mieux. Cette empathie que je viens d’évoquer, m’a permis de coller au plus près des préoccupations, des besoins, des capacités et des désirs de mes élèves. Elle m’a permis également d’accueillir avec le plus grand bénéfice des enfants en situation de handicap, parfois même maintenus une 2ème année. Tout simplement parce que je sais, instinctivement, intuitivement, ce qu’il faut pour faire tourner la classe, à quel moment elle est vraiment prête, et comment la mener là où je veux qu’elle aille. Tout cela dans la joie de vivre, la bonne humeur, le plaisir, le respect des autres et l’humour.

Ces succès ont été possibles grâce à la confiance que les parents m’ont accordée alors qu’ils me savaient sourde. Ils ne sauront jamais sans doute tout ce que je leur dois.

Je dois malheureusement confesser que je n’ai jamais rencontré cet enthousiasme chez mes collègues. Il a fallu que l’administration me reconnaisse « travailleuse handicapée » alors que mon taux de surdité avait passé la barre des -80% pour qu’on commence à réaliser que peut-être, si je n’entendais pas bien, et si parfois quelques informations m’échappaient, ce n’était pas parce que j’étais sourde quand ça m’arrangeait. C’est sans doute de la faute de ma propension à trop compenser : il est si facile d’oublier un handicap qui ne se voit pas.

 

J’ai la conviction, au vu de la façon dont le handicap est vécu dans les écoles et à travers mon expérience d’adulte enseignante handicapée, que tant que le corps enseignant n’intégrera pas dans les équipes des enseignants handicapés, il sera très difficile de gérer un accueil des élèves en situation de handicap de qualité, c'est-à-dire au même niveau qu’un élève banal. Il en va de même pour toutes les structures sociales. Le handicapé est vécu comme une personne incomplète, à laquelle il manque quelque chose. Il gêne. On ne sait pas quel comportement adopter, et finalement, au mieux, on passe rapidement de la compassion à l’oubli et de l’oubli au rejet. La présence de personnels handicapés permettrait, je veux le croire, de changer le regard en démystifiant le handicap, vécu comme un monde à part, avec ses codes et ses secrets.

 

Les, « mes »,  parents d’élèves, quand je leur demande si ils ont jamais eu quelque appréhension à confier leur enfant à une maîtresse un peu particulière, un peu même excentrique dans ses méthodes,  m’ont toujours répondu : « vous êtes originale et c’est comme ça qu’on vous aime. Surtout ne changez rien ».

Les relations continuent souvent des années après que les enfants aient quitté ma classe : je le dis et le redis, c’est cette confiance sans faille qui m’a permis de faire la classe avec efficacité et compétence alors que j’étais sourde très profonde. Et c’est cette confiance qui m’a permis évidemment de demeurer vivante et communicante bien que sourde.

 

J’ai conscience d’être une sourde très privilégiée et une enseignante particulièrement comblée.

 

http://entendreetcomprendre.blogspot.com/

"Revenir au monde des bruits, c'est revenir à la vie et c'est un véritable séisme... "